Qu’il était agréable de sentir le vent fouetter son visage tout en conduisant une magnifique Bentley des années 50. Tout le véhicule avait été restauré après avoir été découvert abandonné dans une décharge publique. Le châssis, à l’origine en bois, était dévoré par les termites ; Les houses par la vermine et les tôles immanquablement rongées par la rouille. Oh que oui, cette pauvre petite voiture avait été sacrément abimée par le temps.
Bien heureusement, avec de l’argent et quelques connaissances, elle avait vite retrouvé sa splendeur d’antan. A présent, Jethro Pére-Comté, dans son éternel costard-noeud papillon-chapeau beige, se rendait non sans excitation dans l’une des ailes de sécurité de son musée. Avec le temps, surtout des années à travailler en tant que conservateur, Jethro considérait le musée du Louvres comme sien et mettait un point d’honneur à faire respecter des règles de sécurité qu’il avait lui-même rédigées. Depuis qu’il avait surpris un individu malsain en train de déféquer entre un sarcophage et une tablette manuscrite de grande valeur, il avait demandé à ce que tous les agents de sécurité modifient leurs rondes, n’accordant plus vraiment de crédit aux touristes dont les connaissances ne se limitaient qu’à leurs simples besoins naturels.
Ce matin-là, bien qu’il était « de repos » selon les dires de son secrétaire, l’homme en tant que conservateur lui avait rétorqué qu’il était effectivement en congé, lorsqu’il se trouvait dans son musée et non en dehors à discuter du prix de tel ou tel artefact avec des hommes n’aillant aucune idée de ce qu’ils avaient à vendre. Justement, on devait apporter aujourd’hui une statuette de la divinité Râ que l’on avait, a priori, découvert dans un temple secret enfoui sous les sables Égyptien depuis des millénaires. C’était une commission de fouille étrangère qui avait découvert ce bien et l’avait confié à un ambassadeur diplomate afin qu’il soit vendu à l'état Français pour le musée du Louvres. Comme d’habitude, Jethro n’avait qu’une confiance des plus limités quant aux hommes dont la cupidité était le principal atout.
Une demi-heure et quelques contrôles de sécurité plus tard, Pére-Comté entra dans la salle de réunion où s’entretenaient deux hommes, secondé par trois agents de sécurité silencieux. Sur le bureau se tenait, à l’abri dans une petite coupole en verre, la statuette censée représenter la divinité Râ. Auparavant, il n’en avait jamais été découvert de cette taille, la communauté archéologique était en ébullition, n'hésitant pas à échafauder de nombreuses hypothèses et préparant des équipes pour les confirmer ou les infirmer. Des bruits couraient que plusieurs autres artefacts auraient été trouvé dans cette cache, des longs bâtons dont l’utilité était encore à déterminer mais, avant que des examens puissent être faits, l’histoire fût étouffée et les artefacts disparurent mystérieusement. Ne s’appuyant que sur des faits concrets, Jethro avait pensé qu’il ne s’agissait surement que d’un canular et, si par chance les artefacts étaient réels, les autorités commenceraient à s’en mêler et partiraient à leur recherche.
Docteur Norbert Monroe, je vous présente le docteur Jethro Pére-Comté, conservateur de notre musée.
Oui oui, passons les présentations si vous voulez bien Monsieur Lamend. Ainsi donc, cet homme compte vendre au ministère de la culture cette statuette afin qu’elle y soit ajoutée à notre collection ?
Exactement...Nous l’avons découvert il y a peu dans une l’antichambre d’un temple secret dédié à la divinité Râ.
S’approchant de l’objet, Jethro le sonda du regard tout en se laissant envahir par ce frisson de plaisir. Il ressentait une sorte de bouffée «d’histoire», quelque chose qui avait survécu au temps et qui, à présent, méritait une place sous le regard du public. Qui était l’homme qui l’avait façonné ? Savait-il que sa création, représentant son dieu, allait être redécouverte des milliers d’années plus tard ? Probablement pas. L’ambassadeur en charge de la vente ouvrit son attaché-case et présenta des documents officiels permettant l’échange ainsi que les preuves de l’étude en laboratoire. La datation au Carbonne 14 semblait indiquer que l’âge de l’artefact correspondait effectivement à l’époque en question. Les laboratoires français avaient également fait quelques études afin d’en être certain et c’était Lamend qui possédait les résultats. Nul doute que s’il y avait eu ne serait-ce qu’une erreur de virgule, l’échange aurait été retardé voir annulé. Il semblait cependant ne pas y avoir de problème et, les signatures faites, deux hommes en blouse blanche s'emparèrent de l’objet pour l’amener en réserve où il serait lavé de toute impureté, restauré puis mit sous verre avant d’être exposé après les derniers accords validés.
Ah...Monsieur Lamend...Quelle époque fascinante et néanmoins mystérieuse que celle-ci...Râ...Dit Rê...Dieu égyptien du soleil dont Héliopolis fut le principal lieu de culte. On le considérait comme le dieu créateur de l’univers, le dieu de l'état et de la justice ; l’on pensait que pendant la journée il parcourait le ciel sur la « barque de millions d’années ».Assimilé à Horus, l’autre divinité solaire, il était représenté comme un homme à la tête de faucon avec sur le crâne un disque solaire et l’uraeus.
Selon la légende, on dit que Râ s’est créé lui-même dans une fleur de lotus dite primordiale. Ce n’est donc qu’ensuite qu’il a créé Shou (Chou) et Tefnout. Eux-mêmes ont ensuite donné naissance à la divinité de la terre et du ciel, Geb et Nout. C’est ainsi, à partir de Râ, que le monde s’est créé.
Son collègue se retourna, légèrement agacé.
Je sais tout cela docteur...